Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme – Cormac McCarthy

” Comment ça se fait que les gens ne pensent pas que ce pays a pas mal de comptes à rendre ? Non. Ils n’ont pas de rancœur. On peut dire que le pays, c’est seulement le pays, qu’il ne fait rien par lui-même, mais ça ne veut pas dire grand chose.” p257

A la frontière du Texas, Moss découvre un carnage : un homme à moitié mort, d’autres déjà froids, des armes, de l’héroïne et deux millions de dollars. La  tentation  est trop forte. Mais on ne vole pas impunément des narcotrafiquants. Moss devient l’objet d’une impitoyable chasse à l’homme. A ses trousses, un vieux shérif et un tueur psychopathe de la pire espèce…

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Imaginez, vous êtes tranquillement en train de chasser lorsqu’au cours de votre expédition vous tombez nez à nez avec des camionnettes criblées de balles, quelques cadavres par terre, encore quelques-uns dans les véhicules, véhicules bien évidemment remplis de drogue. Cerise sur le gâteau de cette charmante journée, une mallette remplie  de billets et vous êtes, à l’heure actuelle, le seul témoin de cette scène. Que faites-vous ?

Et bien Moss, le personnage mis en scène par McCarthy, ne se pose même pas la question : il prend la mallette et rentre chez lui. C’est alors que commence la chasse à l’homme. Car forcément, la disparition de cet argent ne va pas passer inaperçu aux yeux des cartels qui engagent immédiatement le personnage le plus psychopathe qu’il m’ait jamais été donné de lire, un homme sans aucune âme, juste un principe : tenir parole. A côté de cela, la police se mêle également de l’histoire. On suit donc trois personnages, incarnant des valeurs complétement différentes : Moss, Chigurh le méchant, et le shérif Bell, l’homme de bonne volonté mais impuissant.

Clairement, on aime ou on n’aime pas ce genre d’histoire. Pour ma part, je n’aime pas, mais cela ne m’a pas empêché d’être agréablement surprise par ce livre.

A travers une histoire au premier abord assez simple, McCarthy dresse un portrait sans concession de son Amérique : l’ancienne et la nouvelle. Cette ancienne Amérique qui a envoyé ses jeunes à la guerre et les a fait revenir avec un statut de héros sans que ceux ci ne demandent rien et sans les prendre en charge (Moss et Bell sont tous deux d’anciens combattants de deux guerres différentes). Et la nouvelle Amérique qui s’asphyxie sous les cartels de drogue et une violence de moins en moins maîtrisée par les forces de l’ordre.Chigurh peut être perçu comme la métaphore du pays : accomplir sa mission, peu importe les dommages collatéraux. Moss n’est qu’un pion mis dans une situation délicate par désir de meilleur, et Bell n’est autre que ce vieil homme en devenir qui ne se retrouve plus dans le passé de son pays et encore moins dans son présent ou son futur.

Choix intéressant de l’auteur au niveau du style : le livre ne comporte que très peu de virgules. C’est au bout de quelques pages que je me suis aperçu de cette quasi inexistence. Premier constat : sans virgule, la compréhension est difficile, voire faussée, notamment pour les dialogues. Deuxième constat : sans virgule, c’est au lecteur de décider du rythme.  L’absence de virgule oblige le lecteur à penser le ton du personnage, à l’imaginer. Ainsi les trois personnages principaux de ce récit se lisent comme des personnages très froids, on ne les différencie que par leur degré de bien ou de mal. La virgule qui agirait comme une aide, une béquille nous est défendu. Seuls les actes ou les pensées des personnages nous permettent de définir de quel côté de la morale ils se situent et quel taux d’humanité le lecteur souhaite leur accorder, car ce style rend tout extrêmement sec. McCarthy laisse ainsi le lecteur seul face à cette histoire, lui donnant des informations mais ne lui permettant pas  de lire cette histoire par le prisme d’un narrateur qui viendrait prendre le relai du poids des mots.

Un livre qui m’a paru sans prétention de prime abord mais qui au final relève du génie.  Toutefois, il ne m’a pas passionné à la lecture. Reste à voir le film.

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Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme, Cormac McCarthy
Publié en 2005
Lu en Points.
Traduit de l’anglais par François Hirsch
298 p.